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POLITIQUES

Corinne Lepage : « Il y a de quoi être en colère »

PUBLIÉ LE 20 MAI 2020
PROPOS RECUEILLIS PAR ANTHONY LAURENT
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Corinne Lepage : « Il y a de quoi être en colère »

Avocate spécialisée dans le droit de l'environnement, Corinne Lepage a été ministre de l'Environnement de 1995 à 1997. Celle qui est aussi la fondatrice du cabinet Huglo-Lepage nous livre son analyse de la crise sanitaire et économique actuelle ainsi que les pistes qu'elle entrevoit pour le « monde d'après ».

Environnement Magazine : Quel diagnostic posez-vous sur la situation de crise actuelle ?

Corinne Lepage : C'est peu dire que nous sommes plongés dans une profonde incertitude. Pour ma part, je ressens beaucoup de colère vis-à-vis du gouvernement dans sa gestion de la crise sanitaire. Il a assurément accumulé les erreurs et les incompétences sur fond de politique budgétaire extrêmement rigide, qui a mis l'hôpital dans un état catastrophique. Rendez-vous compte : plus de 50 % du budget dévolu aux hôpitaux est destiné à payer, non pas les soignants, mais un personnel administratif qui ne brille pas particulièrement par ses réussites, c'est le moins que l'on puisse dire.

Quelle est votre analyse concernant la pénurie des masques ?

C'est un cas emblématique des dysfonctionnements de l’État. Quand on sait qu'il y a quelques années encore la France avait un stock de 250 millions de masques, il y a de quoi être en colère aujourd'hui. Il faut rappeler que le personnel soignant représente une part importante des malades du Covid-19. C'est insupportable. C'est une honte absolue ! Nous avons toujours deux guerres de retard : il n'y a eu ni prévention, ni anticipation. Il est évident qu'il manque encore une vraie politique de santé publique en France.

Le gouvernement se montre-t-il à la hauteur de la crise économique, selon vous ?

Les mesures économiques d'urgence qui ont été prises ont été à la hauteur. Je constate néanmoins avec tristesse que la période actuelle est utilisée pour faire passer des mesures qui sont préjudiciables à l'environnement et à la santé. La crise du Covid-19 justifie-t-elle, par exemple, de prendre des ordonnances qui vont à l'encontre de la Loi Abeille dans le but de faciliter l'installation d'antennes-relais pour le déploiement de la 5G ? Je ne vois pas le rapport. Hélas, les lobbies s'activent déjà en coulisses pour gagner du temps sur l'application des réglementations environnementales.

Plus de 60 plaintes ont déjà été déposées contre des membres du gouvernement pour leur gestion de la crise sanitaire. Comment voyez-vous la suite ?

Il y a de quoi dire... Tout d'abord, ce n'était pas faciliter la tâche du gouvernement que de déposer ces plaintes à un moment où l'épidémie était à son pic. Quand on est aux responsabilités, a fortiori en situation de crise, il est toujours préférable d'avoir le moins de soucis personnels pour pouvoir se concentrer sur l'essentiel. Cela dit, ces plaintes sont tout à fait légitimes. C'est maintenant à la Cour de Justice de la République d'évaluer si elles sont recevables.

La crise actuelle pourrait-elle faire naître une nouvelle politique de gestion des risques en France ?

Il y a intérêt, sinon les prochaines crises – dues au réchauffement climatique, à l'effondrement de la biodiversité, aux sécheresses, aux maladies environnementales, etc. – nous coûteront encore des milliards. Le problème, c'est que l'État ne veut pas savoir, c'est-à-dire qu'il fait primer l'intérêt économique à court terme sur une vision à long terme. Or, faire des économies de bouts de chandelle nous coûtera toujours des milliards en cas de crise. Les citoyens sont en train de s'en apercevoir, l'opinion publique est en train de changer. Les entreprises et les marchés financiers y seront contraints.

Que pensez-vous des aides accordées par l’État aux secteurs automobile et aérien ?

C'est un sujet important. Le gouvernement n'a pas le droit à l'erreur car ces milliards d'euros ne pourront pas être dépensés une seconde fois. Il faut encourager le secteur industriel à se transformer. Or, l’État soutient le secteur aérien sans imposer de contreparties environnementales, ça n'a pas de sens. Il devrait en profiter pour accompagner le développement de modes de transports alternatifs à l'avion, comme le train. Mais ce sont des entreprises comme Air France, Renault et Vallourec qui ont reçu le soutien de l’État, pas la SNCF. En ce qui concerne le secteur automobile, il faut profiter de la crise actuelle pour favoriser la construction de voitures propres.

Quelle est votre vision pour l'après-Covid-19 ?

Le retour à la proximité est une réponse à la crise que nous vivons. Nous avons besoin de ce qu'il y a à côté de chez nous. On parle aussi beaucoup de réindustrilisation. Celle-ci doit nous permettre de gagner en autonomie alimentaire, énergétique, médicale et numérique. Il nous faut aujourd'hui un développement économique qui parte de la base, de la géographie des territoires. L'économie du « nouveau monde » doit avant tout être favorable à l'environnement et à la solidarité. Elle doit permettre la baisse de notre consommation énergétique – à travers notamment la rénovation des bâtiments –, la transition vers les énergies renouvelables – via la décentralisation énergétique et l'autoconsommation collective –, le développement de modes de transports vertueux – comme le vélo – et la sécurisation de nos systèmes sanitaire et alimentaire. C'est l'année ou jamais.

Crédit : Corinne Lepage/Flickr
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