Alix Derigny, Marketing Advisor spécialisée dans la construction au sein d'Enterprise Ireland. Crédit : DR
Les industries du monde entier se mobilisent pour atteindre l’objectif zéro émission carbone nette et les data centers ont déjà fait d’énormes progrès dans la course à l’efficience énergétique, en tirant au passage quelques enseignements précieux. Alix Derigny, Marketing Advisor spécialisée dans la construction au sein d’Enterprise Ireland, revient sur la transition de ce secteur.
Après avoir signé le Pacte de neutralité climatique des data centers en 2021, des opérateurs de premier plan comme Interxion, Google, IBM ou encore Intel ont rapidement décarboné leurs activités, en combinant innovation et collaboration. Le secteur des data centers connaît une croissance exponentielle, qui correspond à l’adoption rapide des technologies numériques par notre société. Selon 451 Research, la capacité mondiale des data centers en colocation en termes de puissance disponible a augmenté de 62,4 % au cours des cinq dernières années, soit un taux de croissance annuel de 10,2 %. D’ici 2024, les data centers devraient dépasser 32 gigawatts de puissance électrique disponible pour les systèmes informatiques des clients. Ce chiffre est comparable à l’alimentation électrique de 25 millions de foyers.
Parmi les enseignements dont peuvent s’inspirer d’autres industries à forte consommation énergétique qui souhaitent s’acheminer vers la décarbonation, 5 axes stratégiques se démarquent.
1. Passer à une énergie décentralisée
"Le carbone n’est pas durable, il doit disparaître et tout le monde en est conscient", selon Kevin Maguire, directeur associé chez RKD, cabinet d’architecture comptant plusieurs projets de data centers irlandais à son actif.
L’approvisionnement en énergies renouvelables s’accélère rapidement, mais l’abandon des combustibles fossiles va entraîner une augmentation radicale de la demande en électricité.
Pour alléger la pression sur les infrastructures du réseau, Amazon et Facebook ont ralenti la construction de grandes installations en Europe. Les deux organisations ont conclu des contrats d’achat d’électricité (CAE) pour couvrir leur consommation d’énergie et laisser aux pays davantage d’énergies renouvelables. Certains data centers utilisent des ressources énergétiques de proximité, comme des batteries, avec suffisamment d’énergie pour plusieurs minutes en cas de panne du réseau.
De nombreuses organisations commencent à regarder au-delà des réseaux traditionnels, en explorant des ressources énergétiques comme l’éolien et le solaire. Les piles à combustible sont une autre solution : elles sont alimentées par de “l’hydrogène vert", sans émission de CO2, mais avec de l’air chaud et de l’eau. Mais ces sources d’énergie sont intermittentes. C’est pourquoi Google et Microsoft ont décidé de calculer heure par heure les émissions générées par leur site afin de parvenir à un bilan zéro net en continu, et pas seulement en moyenne.
2. Innover au stade de la construction
"Ce que nous constatons aujourd’hui en matière de durabilité, c’est qu’on nous demande de nous impliquer de plus en plus tôt dans les projets", explique Greg Hayden, CEO d’Ethos Engineering, société de conception et d’ingénierie basée à Dublin.
Les data centers se concentrent désormais sur la phase de construction pour réduire leur empreinte carbone. Dans ce domaine, les entrepreneurs ouvrent la voie en utilisant de plus en plus de béton “vert”.
Les membres de la Global Cement and Concrete Association (GCCA, association mondiale des producteurs de ciment et de béton) ont récemment lancé une feuille de route en vue d’accélérer la transition vers un béton plus vert, et s’engagent à réduire encore les émissions de CO2 de 25 % d’ici 2030, franchissant ainsi une étape décisive dans la course au béton « net zéro » d’ici 2050. Les mesures prévues par la feuille de route empêcheront près de 5 milliards de tonnes de carbone d’entrer dans l’atmosphère, soit l’équivalent des émissions de CO2 produites par environ 15 milliards de vols passagers Paris-New York. Ce type de béton n’utilise que des déchets pour l’un de ses composants ; il peut également être défini comme un béton qui n’entraîne pas la destruction de l’environnement.
En attendant, il existe un certain nombre d’initiatives et d’efforts visant à décarboner la phase de construction. La startup CarbonCure réduit les émissions de l’industrie du béton en injectant du CO2 résiduel dans le mélange. Elle espère éliminer 500 mégatonnes de dioxyde de carbone par an de l’industrie du béton d’ici 2030. Amazon et Microsoft, deux entreprises ayant une empreinte importante en Irlande, ont investi dans cette société.
3. Construire hors site pour plus de durabilité
"Les gains d’efficacité obtenus grâce à l’introduction de data centers modulaires ne peuvent être égalés par une construction en brique et mortier", explique Robert Hudock, directeur des ventes chez E+I Engineering.
Si des bâtiments entiers de data center n’ont pas encore été entièrement transportés par camion depuis l’usine, c’est en tout cas la direction que semblent prendre les choses avec une gamme de constructions modulaires réalisées hors site.
Concevoir la fabrication et l’assemblage dans des environnements contrôlés ne permet pas seulement de rationaliser le processus de construction, mais aussi d’améliorer la qualité et la durabilité. Souvent, ces éléments sont préfabriqués en usine, testés, puis installés immédiatement.
En plus de réduire le temps de construction, la construction modulaire diminue les coûts et la présence de personnels expérimentés sur site.
4. Adopter une infrastructure numérique
Publiée lors de la 51e édition du Forum de Davos, événement économique réunissant des participants du monde entier, une étude menée par Accenture met en exergue un double impératif : devoir construire des technologies plus respectueuses de l’environnement, tout en étant tenu de déployer ces technologies de manière responsable pour devenir plus durables. La numérisation est un moyen d’y parvenir.
La numérisation des chaînes d’approvisionnement est essentielle pour comprendre les informations relatives au génie civil, à l’architecture, aux travaux de terrassement, à la mécanique et à l’électricité de toute la structure. Cette façon de travailler peut contribuer à une prise de décision plus durable et à une plus grande efficacité dans la construction rapide.
Les plateformes numériques peuvent contribuer à faire avancer les projets et à fournir une source unique de vérité. Des données de qualité et actualisées peuvent réduire les erreurs, favoriser le transfert de connaissances opérationnelles et rationaliser le processus de transfert.
5. Une utilisation intelligente de l’eau
La pénurie d’eau est devenue un problème mondial et les data centers en ayant besoin en grande quantité, ces installations font l’objet d’un examen public. L’efficacité de l’utilisation de l’eau (WUE) est une mesure développée par The Green Grid pour aider les data centers à évaluer la quantité d’eau utilisée pour le refroidissement et les autres besoins du bâtiment.
En utilisant le WUE conjointement avec les mesures de l’efficacité de l’utilisation de l’énergie et du carbone, une entreprise peut réduire la quantité d’eau et d’énergie électrique nécessaire au fonctionnement du data center.
Des hyperscalers comme Facebook et Microsoft surveillent déjà activement le WUE. Facebook rend compte de son ratio WUE, en le rendant public.