«Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique (…) ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous ». Posée par l'article L. 2122-1 du Cgppp, cette règle est bien connue en droit de la domanialité publique lorsque l'occupation se traduit par une emprise physique sur la dépendance. S'applique-t-elle avec la même rigueur et selon les mêmes modalités lorsque le domaine public n'est pas l'objet d'une occupation physique mais est simplement surplombé ?
Cette question, en apparence tout à fait banale, soulève en réalité des difficultés juridiques non négligeables lorsque les travaux ou aménagements à réaliser conduisent à surplomber une dépendance du domaine public d'une personne publique. Qu'il s'agisse de balcons d'un immeuble, de saillies diverses ou encore d'enseignes, ces “surplombs” du domaine public, routier le plus souvent, sont fréquents et il n'est pas toujours aisé de déterminer le régime juridique qu'il convient de leur appliquer. Les questions les plus ordinaires qui peuvent alors se poser – Faut-il une autorisation ? Quel est le type d'autorisation exigée ? Vers qui se tourner pour l'obtenir ? – ne trouvent pas toujours de réponses claires.
Ces difficultés résultent entre autres de l'originalité de la situation : le surplomb se caractérisant par l'absence d'empiétement physique sur le domaine public, il est vrai que l'on n'a pas affaire à une occupation privative classique. Pour autant, ne serait-ce qu'esthétiquement ou visuellement, on peut difficilement contester le fait que les surplombs viennent perturber l'affectation et la destination de la dépendance domaniale concernée. C'est pourquoi le droit domanial prend en compte les surplombs des dépendances du domaine public (I).
La complexité de la détermination du régime juridique applicable aux surplombs vient également du fait que d'autres réglementations, comme le droit de l'urbanisme, se trouvent directement concernées. Les réponses aux questions posées plus haut doivent alors aussi être recherchées dans l'articulation des différentes réglementations (II).
I. La prise en compte des surplombs du domaine public routier par le droit domanial
Cette prise en compte est assurée à deux niveaux : d'une part, une autorisation de surplomb est nécessaire ; d'autre part, une redevance d'occupation du domaine public peut être perçue par l'autorité gestionnaire.
A. L'exigence d'une autorisation d'occupation domaniale
1. Le principe
Ainsi que nous l'avons souligné plus haut, l'originalité de la situation en matière de surplomb tient à l'absence d'emprise physique sur la dépendance domaniale. Cette caractéristique est-elle de nature à écarter le principe posé par l'article L. 21221 du Cgppp au terme duquel l'occupation du domaine public à titre privatif suppose l'obtention préalable d'un titre autorisant cette occupation ?
Il faut bien avouer que le Code général de la propriété des personnes publiques ne donne aucune réponse explicite à cette question qu'il n'aborde de toute façon pas de manière spécifique. L'imprécision ou le silence de la réglementation sur ce point ne doit cependant pas être interprété en faveur de la dispense d'autorisation.
En effet, si l'article L. 2122-1 du Cgppp ne vise pas expressément les surplombs du domaine public, il ne les écarte pas non plus et sa formulation est suffisamment générale pour les faire entrer dans son champ d'application.
On peut à cet égard difficilement nier le fait que le surplomb constitue une forme d'occupation du domaine public : imagine-t-on que la propriété d'une personne privée puisse ainsi être l'objet d'un surplomb sans autorisation ? On ne conçoit donc pas que le droit de la domanialité publique soit limité à la surface de la dépendance, à l'exclusion de l'espace situé immédiatement au-dessus, dès lors que, ainsi que nous l'avons souligné plus haut, la destination du domaine public est évidemment affectée par le surplomb. On en veut également pour preuve l'application, aux surplombs du domaine public routier, des pouvoirs de police de la conservation du domaine public (1) et, le cas échéant, le prononcé de sanctions pénales par l'autorité judiciaire en cas de surplombs non autorisés (2).
2. La nature de l'autorisation d'occupation du domaine public
Si on laisse de coté les contrats d'occupation du domaine public, on distingue traditionnellement deux types d'autorisations unilatérales : les permis de stationnement et les permissions de voirie. On sait que la distinction entre les deux catégories de titres tient seulement à l'existence ou non d'une emprise, c'est-à-dire à l'existence ou non d'une « pénétration dans le sous-sol à la suite de travaux portant sur l'infrastructure » (3). La permission de voirie est ainsi nécessaire pour l'installation d'un appareil distributeur d'essence comportant une fosse (4) ou encore d'un kiosque à journaux édifié sur une dalle de béton placé dans le sol (5). À l'inverse, supposent seulement l'obtention d'un permis de stationnement, les installations simplement posées sur le sol tels que les étalages, chaises et tables d'un café ou les constructions légères sans fondations ou ne comportant qu'une atteinte très limitée.
Mais qu'en est-il des occupations du domaine public routier par surplomb ? Quel type d'autorisation faut-il solliciter ? Si le Code général de la propriété des personnes publiques est muet sur ce point, l'article L. 113-2 du Code de la voirie routière apporte un début de réponse en disposant que « (…) l'occupation du domaine public routier n'est autorisée que si elle a fait l'objet, soit d'une permission de voirie dans le cas où elle donne lieu à emprise, soit d'un permis de stationnement dans les autres cas (…) ».
Il semblerait donc que l'autorisation doive prendre la forme d'un permis de stationnement. L'arrêt du Conseil d'État (6), Commune de Montrouge, sème cependant le doute. Dans cette affaire, une société se voyait réclamer par la commune de Montrouge des droits de voirie concernant des façades, baies et balcons d'un immeuble qu'elle avait construit sur le territoire de cette dernière. Ces droits de voirie étaient réclamés en application de l'article L. 135-5 du Code des communes (7), alors en vigueur, au terme duquel « le maire peut, moyennant le paiement de droits fixés par un tarif dûment établi, donner des permis de stationnement ou de dépôt temporaire sur la voie publique (…) ». Saisi du bien-fondé des droits contestés par la société, le Conseil d'État jugeait alors que, en admettant que les balcons forment saillie sur la voie publique, « ils ne sauraient être regardés comme constituant un stationnement, un dépôt ou une location sur la voie publique au sens de l'article L. 135-5 du Code des communes ». Il en déduisait que ces dispositions ne pouvaient servir de base légale aux droits litigieux.
Sans prendre explicitement position sur la question de la nature de l'autorisation de surplomb de la voie publique, la motivation retenue par le Conseil d'État fournit toutefois des indices non négligeables. En effet, en observant que les balcons surplombant la voie publique ne constituaient pas un stationnement sur celle-ci, le Conseil d'État jugeait nécessairement qu'ils ne pouvaient pas relever du régime du permis de stationnement (8).
B. La perception d'une redevance domaniale
En vertu d'un principe classique aujourd'hui exprimé par l'article L. 2125-1 du Cgppp et sous réserve des exceptions qu'il prévoit par ailleurs, « toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique (…) donne lieu au paiement d'une redevance ».
La formulation retenue englobe donc, par sa généralité, les surplombs du domaine public lesquels doivent nécessairement donner lieu à la perception d'une redevance par l'autorité domaniale concernée. En pratique, on observe en effet que les communes prévoient de telles redevances dans le cadre du règlement de voirie adopté par délibération du conseil municipal. Des droits de voirie sont ainsi appliqués aux surplombs du domaine public, les tarifs variant selon qu'il s'agit de balcons, oriels, débords de toiture, marquises, auvents, enseignes, etc. (9)
Toutefois, force est de constater que le fondement juridique de ces droits de voirie demeure assez flou en raison de l'imprécision qui entoure la nature juridique du titre autorisant le surplomb. L'arrêt Commune de Montrouge (10) est à cet égard tout à fait révélateur : la commune se fondait sur l'article L. 135-5 du Code des communes (aujourd'hui art. L. 2213-6 du Cgct) pour réclamer les droits de voirie à la société pour les balcons formant saillie sur la voie publique. Or, estimant que les balcons ne sauraient être regardés comme constituant un stationnement, un dépôt temporaire ou une location sur la voie publique au sens de ces dispositions, le Conseil d'État jugeait que les droits litigieux étaient dépourvus de base légale. N'est pas beaucoup plus éclairant, l'article L. 2331-4 du Cgct (ancien art. L. 231-6 du Code des communes) qui prévoit que parmi les recettes non fiscales de la section de fonctionnement peuvent figurer « 8° le produit des permis de stationnement et de location sur la voie publique (…) 10° le produit des droits de voirie et autres droits légalement établis ».
Cependant, il semble que la jurisprudence récente des juges du fond soit plus accommodante. Il a ainsi été jugé que les mêmes dispositions du Code des communes autorisaient « les conseils municipaux à établir un droit de voirie perçu lors de la délivrance des autorisations nécessaires à l'installation des enseignes formant saillie sur la voie publique » (11).
Le droit domanial prend donc en compte les surplombs du domaine public routier, même si certaines imprécisions peuvent subsister, la jurisprudence étant peu abondante. D'autres réglementations interviennent également en la matière, posant alors la question de leur articulation avec le droit domanial.
II. L'articulation du droit domanial avec d'autres réglementations concernées par les surplombs du domaine public routier
Différentes réglementations prennent en compte les surplombs du domaine public routier dès lors qu'elles ont un rapport étroit avec ce dernier. C'est notamment le cas, au premier chef, du droit de l'urbanisme. Si une articulation est le plus souvent assurée avec le droit domanial, le principe d'indépendance des législations peut cependant également et dans une certaine mesure, constituer un frein.
A. Une articulation organisée par les textes
1. Autorisation de surplomb et droit de l'urbanisme
L'ancien article R. 421-1-1 du Code de l'urbanisme prévoyait, dans son dernier alinéa, que : « Lorsque la construction est subordonnée à une autorisation d'occupation du domaine public, l'autorisation est jointe à la demande de permis de construire. » L'abrogation de ces dispositions en 2007 (12) n'a pas fait disparaître l'obligation qui a été maintenue par l'article R. 431-13 : « Lorsque le projet de construction porte sur une dépendance du domaine public, le dossier joint à la demande de permis de construire comporte une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public. » Il résulte de ces dispositions, qui visent à assurer sur un plan procédural la jonction de législations indépendantes, que lorsque la construction envisagée est réalisée sur le domaine public, une autorisation d'occupation, unilatérale ou contractuelle, appropriée à la construction, doit préalablement être obtenue (13).
Le juge administratif a eu l'occasion de préciser qu'il en va de même dans le cas d'une occupation en surplomb. Ainsi, s'agissant des dispositions de l'ancien article R. 421-1-1, il a été jugé que le maire d'une commune pouvait faire opposition à une déclaration de travaux dès lors que le pétitionnaire ne disposait d'aucune autorisation d'occupation du domaine public pour l'édification d'une construction en surplomb d'une voie communale (14). Plus récemment, ayant à se prononcer sur la construction de bâtiments comportant des balcons en saillie et des débords de toiture sur le domaine public de la commune, le juge administratif a estimé que les dispositions de l'article R. 431-13 s'appliquent aux constructions en surplomb du domaine public (15) et qu'il suffit que l'autorité gestionnaire exprime son accord au travers d'une « autorisation de surplomb » pour que la demande de permis de construire soit valable (16). Confirmant donc le principe de l'exigence d'une autorisation délivrée par l'autorité domaniale, la jurisprudence semble ne pas attacher une importance particulière à la nature de l'autorisation dès lors qu'elle est « appropriée » (17).
2. Autorisation de surplomb et droit de la voirie routière
Les surplombs du domaine public posent le problème du respect des limites du domaine public routier telles qu'elles peuvent résulter de l'alignement dont le régime est organisé par les articles L. 112-1 et s. du Code de la voirie routière. Ainsi, l'article L. 112-5 pose le principe selon lequel aucune construction nouvelle ne peut, à quelque hauteur que ce soit, empiéter sur l'alignement (18). Cette disposition réserve cependant une exception pour les saillies qui peuvent obéir à des règles particulières. À cet égard, l'article R. 112-3 prévoit que le préfet, le président du conseil général ou le maire peuvent, par arrêtés portant règlement de voirie pour les voies dont ils ont la charge en tant qu'autorité domaniale, autoriser et fixer les dimensions maximales des saillies sur ces voies.
3. Autorisation de surplomb et droit de l'affichage et de la publicité
La police de l'affichage et de la publicité extérieure a également à connaître de la question des surplombs du domaine public. En effet, les enseignes et les publicités, dont l'installation dans l'espace public obéit à des règles spécifiques codifiées aux articles L. 581-1 et s. et R. 581-1 et s. du Code de l'environnement, peuvent constituer des saillies sur le domaine public nécessitant, le cas échéant, l'accord de l'autorité gestionnaire du domaine public au travers de la délivrance d'une autorisation de surplomb (19).
B. Une articulation limitée par le principe d'indépendance des législations
Le principe d'indépendance des législations veut qu'une autorisation obtenue au titre d'une législation ne vaut pas autorisation au titre d'une autre législation : l'indépendance des législations et des réglementations a ainsi pour effet d'obliger le pétition-naire à demander les autorisations exigées séparément par les différentes réglementations concernées (20).
Les multiples inconvénients de ce principe ont cependant conduit le législateur et le pouvoir réglementaire à établir des passerelles entre les législations de façon à simplifier les démarches du pétitionnaire. Ainsi, le Code de l'urbanisme contient une série de dispositions en ce sens, lorsque la construction projetée nécessite plusieurs autorisations en vertu de différentes réglementations : dans certains cas, l'autorisation d'urbanisme tient lieu d'autorisation au titre des autres législations ou réglementations applicables (21).
Les surplombs du domaine public sont également au cœur de réglementations indépendantes : le droit de la domanialité publique, le droit de l'urbanisme, le droit de la voirie routière, ou encore le droit de l'affichage. Ainsi, par exemple, le Code de l'urbanisme ne prévoit pas que le permis de construire que peut obtenir le pétitionnaire vaut autorisation de surplomb. De la même façon, l'autorisation qui peut être obtenue au titre de la réglementation en matière d'affichage et de publicité ne vaut pas, en cas de saillie sur le domaine public, autorisation domaniale.
Il n'en reste pas moins qu'en pratique l'indépendance entre ces législations peut être atténuée. Il en va ainsi notamment des dispositions du Code de l'urbanisme qui posent la règle selon laquelle la demande de permis de construire doit être accompagnée d'une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public (ancien art. L. 421-1-1 ; actuel art. L. 431-13) et de celles du Code de la voirie routière qui prévoient que le règlement de voirie peut autoriser les saillies sur les voies publiques (art. R. 112-3). En toute rigueur, la combinaison de ces deux séries de dispositions implique, d'une part, l'obtention d'une autorisation d'occupation du domaine public, d'autre part, la définition par le règlement de voirie des conditions de son attribution en précisant notamment les saillies autorisées et leurs dimensions maximales. Il a cependant été jugé, dans un souci de simplification, que l'autorisation domaniale n'était pas nécessaire lorsque le Pos communal, intégrant dans ses dispositions le règlement de voirie, renvoyait à ce dernier pour autoriser les saillies sur le domaine public (22). Aussi, en l'espèce, dès lors que le projet de construction respectait les prescriptions du règlement concernant les types de saillies autorisées et les dimensions maximales, la demande de permis de construire n'avait pas à être accompagnée d'une autorisation domaniale.