Vincent Bryant, président et cofondateur de Deepki. Crédits : Deepki
Le décret tertiaire réoriente les pratiques immobilières en faisant de la transition énergétique la question centrale de la gestion des actifs immobiliers. Vincent Bryant, président cofondateur de Deepki, évoque les enjeux du texte et l’importance des critères ESG pour le secteur.
Privés ou publics, les obligations du décret tertiaire, ou de rénovation tertiaire, s’appliquent à tous types de bâtiments tertiaires de plus de 1000 m². Seuls les bâtiments à usage résidentiel, agricole ou industriel et ceux servant de lieu de culte ou assurant une activité à usage opérationnel à des fins de défense ou de sécurité civile sont exclus du périmètre du texte.
Quels sont les enjeux apportés dans ce décret ?
Le décret tertiaire fait de la France l’un des pays les plus avancés en matière de réglementation environnementale et notamment contre le changement climatique. Il est important de rappeler que l’immobilier représente 40 % des émissions de CO2. La France, en adoptant le décret tertiaire, ne se contente pas de demander au marché de suivre ses consommations d’énergie, et donc une partie significative de ses émissions de CO2, mais aussi de rénover massivement les bâtiments pour réduire progressivement, mais franchement, les consommations d’énergie.
D’ici 2030, les bâtiments auront pour obligation de réduire de 40 % leurs consommations, et respectivement de 50 % et 60 % d’ici 2040 et 2050. D’après une simulation Deepki réalisée sur 3000 bâtiments de bureau, partout en France, dans les secteurs publics et privés, l’ensemble des efforts fournis par les professionnels permettrait de générer une baisse globale de 30 % des consommations énergétiques, à l’échelle du secteur, d’ici 2030. L’analyse d’impact que nous avons menée révèle aussi que deux tiers des actifs nécessiteront d’engager des efforts pour se conformer à la réglementation.
Comment ce texte peut-il avoir un impact sur les acteurs de l’immobilier tertiaire ?
Ce texte réoriente considérablement les pratiques immobilières en faisant de la question énergétique la question centrale de la gestion des actifs immobiliers. Non seulement, il invite toutes les parties prenants d’un immeuble (bailleur, locataire, gestionnaire, mainteneur, etc.) à se mettre autour de la table pour échanger (données, décisions de travaux, comportement, etc.). Mais il impulse également une dynamique d’investissement durable sur plusieurs années, si ce n’est, sur des dizaines d’années.
Ainsi, les plans d’investissement se mettent-ils à prendre avec ce texte une couleur verte et se centrent autour de la rénovation énergétique des bâtiments. Comme l’assiette des assujettis est très large, c’est tout le marché qui se met en mouvement pour intégrer ces dimensions de performance énergétique. En termes d’externalités, le principal risque, comme la principale opportunité, pour les acteurs propriétaires ou gestionnaires d’actifs concerne la valeur des actifs immobiliers. Ne pas prendre en compte à présent la performance ESG et en particulier énergétique et climatique de leurs actifs impacte déjà et impactera la valeur de leur portefeuille.
Est-ce que les critères ESG s’appliquent à ce secteur ?
Nous voyons par exemple nos clients de plus en plus, à l’étude d’une potentielle acquisition (due diligence), s’y reprendre à deux fois dans leur prise de décision et la construction de leur plan d’investissement pour comprendre le niveau de performance ESG réel actuel du bâtiment sur le point d’être acheté, mais aussi et surtout les montants qu’il sera nécessaire d’investir pour respecter la trajectoire de consommation imposée par les pouvoirs publics.
Nous avons longtemps parlé et étudié la valeur verte de l’immobilier (green value). Aujourd’hui les recherches des universitaires dans ce domaine s’accordent pour parler plutôt d’une perte de valeur sur la valeur de marché, le brown discounting. En effet, le non-respect de cette trajectoire de performance ESG (et en particulier énergétique ou climatique) entraînera, et commence déjà à entraîner, une perte sur la valeur du bâtiment. C’est à chaque étape stratégique de la vie d’un actif (acquisition, arbitrage, asset management, restructuration, etc.) que ces questions s’imposent à présent.
Quels sont les étapes à adopter par le secteur pour effectuer cette transition énergétique ?
Nous observons que les plus avancés des acteurs avec qui nous travaillons adoptent quelques principes qu’il est bon de partager ici. Premièrement, les objectifs d’une telle entreprise doivent rester ambitieux et partagés au plus haut niveau de l’organisation. Ensuite, il est important de faire preuve de pragmatisme pour se concentrer autour d’une thématique principale et éviter d’avoir trop de fers au feu au risque de s’éparpiller (label ISR, GRESB, décret tertiaire, trajectoire carbone, fonds à impact, SFDR, économie circulaire, etc.).
Aussi, orienter sa stratégie ESG autour du décret tertiaire en France est une bonne approche, et cela ne signifie pas qu’il faut oublier tout le reste. Au contraire disposer d’une vision globale est essentiel. Par exemple, quel dommage cela serait-il de demander mandat à ses locataires pour collecter les données énergétiques pour le décret tertiaire sans demander mandat aussi pour accéder à leurs données en eau ou en déchets !
Le chemin est long et prendra plusieurs années. Or nous voyons déjà des premiers impacts sur les valorisations des actifs. Il est important, sans se précipiter, d’engager des démarches de suite. En la matière, le report de la première échéance du décret tertiaire à septembre 2022 est une nouvelle bien accueillie par le marché car elle laisse un peu plus de temps pour sereinement collecter un maximum de données nécessaires à la construction des futurs plans d’investissement.
Enfin, ne pas lésiner sur les moyens. Un bailleur qui souhaite que son Property Manager obtienne de ses locataires des autorisations pour partager l’information nécessaire à l’établissement des plans d’investissement doit accepter de le missionner pour cela. C’est du temps à passer et cela aura un impact sur la valeur de l’actif.