« Une coordination transnationale aussi poussée est très rare. Des délégations étrangères sont d’ailleurs venues observer notre opération ». Cette opération qu’évoque Laurent Tonini, directeur régional à la Compagnie nationale du Rhône (CNR), concessionnaire de ce fleuve, est en tout cas une première pour la France, comme pour la Suisse, son partenaire pour l’occasion. De quoi s’agit-il ? De la « libération », selon un nouveau mode de gestion, des sédiments (360 000 m3/an) accumulés à l’amont du barrage de Verbois, en Suisse. Leur évacuation, indispensable pour éviter une inondation des bas-quartiers de Genève, se fait depuis la création de cette retenue, en 1942. Mais il s’agissait de simples chasses, gérées en aval par la CNR. « Or la dernière, en 2012, est intervenue après 9 ans d’arrêt, poursuit Laurent Tonini. Nous avons donc eu à gérer trois fois plus de sédiments que d’habitude ». Les impacts sur l’environnement ont été bien réels, notamment une mortalité piscicole à l’amont du barrage de Génissiat, dans l’Ain. Face à ce constat, un comité de pilotage a été monté, associant les Etats français et suisse, et les industriels concernés : CNR, Services industriels de Genève (SIG) et SFMCP (exploitant du barrage de Chancy-Pougny). Ensemble, ils ont étudié 13 scénarios alternatifs, pour finalement choisir celui d’une gestion sédimentaire mixte. « C’est le meilleur compromis entre les enjeux d’efficacité opérationnelle d’une part, et de protection des milieux et de santé publique d’autre part », assure Laurent Tonini. Ce nouveau mode de gestion repose sur trois volets. Le premier consiste à opérer désormais tous les trois ans en mai - période la plus favorable en matière d’hydrologie - un abaissement partiel (10 à 12 m au lieu de 18 m) des retenues de Verbois et de Chancy-Pougny. De manière quasi-simultanée, la CNR arrête ses usines de Génissiat et Seyssel, et abaisse à son tour ses six retenues du Haut-Rhône. Augmentant la vitesse de l’eau, ces manoeuvres doivent permettre l’entraînement des matériaux. Cette opération vient d’être effectuée pour la première fois du 20 au 31 mai derniers, sous l’oeil vigilant du comité de pilotage franco-suisse réuni quotidiennement à 18 h. Le deuxième volet porte sur un accompagnement des crues de l’Arve, affluent du Rhône et principal pourvoyeur des sédiments incriminés. « En injectant de l’eau claire issue du lac Léman, explique le directeur régional, on crée un sur-débit qui facilite le transport sédimentaire naturel ». Enfin, troisième volet, les matériaux ayant résisté à ces différentes opérations sont enlevés par un dragage complémentaire des retenues. Autre première : les Services industriels de Genève se sont engagés à s’aligner sur la norme de 5 g/l de matières en suspension (MES) que la CNR respecte depuis… 1981. « En 2012, se souvient Laurent Tonini, nous avons reçu jusqu’à 49 g/l ! Une concentration difficile à diluer et à évacuer ». Pendant toute la durée de l’opération, ce taux a donc fait l’objet d’une surveillance 24h/24, tant par les SIG que par la CNR. Cette dernière devait aussi surveiller plusieurs paramètres clés dont deux en particulier sont susceptibles de déclencher un arrêt immédiat de l’opération. C’est le cas d’une diminution éventuelle du débit à maintenir en permanence pour le refroidissement de la centrale nucléaire du Bugey. « Nous y apportons bien sûr une vigilance particulière, mais nous sommes habitués à le faire, rassure le directeur régional de la CNR. Si l’enjeu sanitaire est également important, nous avons aussi peu de souci pour la surveillance de l’impact éventuel sur les huit champs captants prioritaires, notamment celui de Crépieux-Charmy qui alimente l’agglomération lyonnaise ». Un suivi confié à un prestataire extérieur, CPGF Horizon. « Aucun impact n’avait été observé, pendant et après les chasses suisses de 2012 », ajoute-t-il.La préservation des « vieux Rhône » de Chautagne, Belley et Brégnier-Cordon est en revanche un point fort du nouveau dispositif. Ces bras naturels du fleuve font l’objet d’une restauration hydraulique et écologique depuis 2003. « Pendant l’opération, nous faisons transiter les sédiments par le Rhône artificiel et nous fermons certains des barrages des vieux Rhône - voire tous si besoin - car les matériaux pourraient les colmater, assure Laurent Tonini. Parallèlement, leur débit est soutenu, pour l’un par les eaux claires du Fier, pour un autre par celles du lac du Bourget dont la cote a été augmentée spécialement ». Certains paramètres seront suivis jusqu’en 2026.Véronique Vigne-Lepage/Pleins Titres